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Frères et Sœurs,
La manière de comprendre la durée de notre vie, notre appréhension du
temps dont nous disposons sur cette terre et notre disposition à le
faire fructifier dépendent étroitement de l’idée que nous nous faisons
de la mort, et de ce qui nous attend après la mort. Même si l’avenir ne
se déroule jamais comme prévu, nous imaginons couramment la suite de
notre vie comme une projection dans la répétition de ce que nous sommes
et de ce que nous vivons déjà.
Mais cette vision se heurte immanquablement au mur et à la coupure de
notre mort. Et l’erreur dans laquelle s’enferme les sadducéens dans ce
passage d’Évangile que nous avons entendu, est d’ignorer cette coupure
et son caractère définitif. La loi du lévirat qui, en Israël, enjoint à
la veuve de devenir la femme de son beau-frère pour assurer une
descendance concerne exclusivement notre avenir en ce monde. Mais
s’enfermer dans cette vision, c’est céder à l’illusion de croire que
l’humanité assure son salut par ses propres moyens de reproduction.
C’est pourquoi, Jésus, en répondant aux saducéens, décale les
perspectives et invite à porter le regard sur une réalité qui n’est pas
le prolongement de celles que nous connaissons : quand on est
ressuscité, il n’y a plus ni homme ni femme, nous sommes « comme des
anges » (Mc 12, 25), leur explique-t’il.
Ceux qui mettent toute leur espérance dans le temps de cette vie
s’orientent délibérément vers une déception radicale, puisque de toute
façon leur vie ici-bas s’arrêtera. Plus encore, ils se trompent sur le
sens des années qu’ils vivent, et sur l’usage des biens qu’ils
possèdent. Pour assurer la pérennité de leur existence et s’inventer un
palliatif d’éternité, ils sont entraînés inéluctablement dans une
logique de thésaurisation et d’accaparement des biens, pour garantir
leur avenir, comme si leur avenir dépendait d’eux… Mais la juste
attitude à l’égard des biens de ce monde, celle qui ouvre à une
véritable générosité et à une véritable liberté, vient de la certitude
que nous perdrons ces biens, et qu’il vaut mieux les perdre en leur
donnant du sens, plutôt que de les perdre sans qu’ils aient pris de
sens.
Job dit qu’il est arrivé nu sur cette terre et qu’il repartira nu (Jb
1, 21). C’est la condition de chacun d’entre nous. La question n’est
donc pas de nous inquiéter pour accumuler des garanties sur notre vie,
mais d’engager notre liberté pour faire fructifier la véritable richesse
que nous avons reçue : celle de pouvoir donner sens à notre vie et à
nos biens.
Comme bien d’autres, celles et ceux qui se sont associés depuis vingt
ans à l’action de la Fondation Notre Dame ont pu entrer dans cette
logique et voir comment les biens qu’ils possèdent prennent leur
véritable valeur quand ils sont partagés, quand ils ne sont plus retenus
pour fabriquer son propre avenir, mais deviennent gages d’avenir pour
autrui.
Rendons grâce à Dieu qui a suscité par la puissance de son Esprit la
générosité de tant d’hommes et de femmes pour venir en aide à leurs
frères. Rendons grâce à Dieu qui vous a permis de promouvoir des actions
qui donnent sens à l’existence humaine et ouvrent l’esprit de l’homme
au-delà de la finitude de ce monde. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.
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