Livre de l'Ecclésiastique 35,15b-17.20-22a.
Psaume 34(33),2-3.16.18.19.23.
Deuxième lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 4,6-8.16-18.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 18,9-14
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Nous connaissons le verset tiré du livre d’Isaïe
(55 :11) qui dit « ainsi ma parole, qui
sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me
plaît, sans avoir accompli sa mission ».
Il semble que Dieu accorde la même importance à la parole de celui qui
crie vers lui. Ben Sirac le sage nous dit en effet que « la prière du
pauvre traverse les nuées ; tant qu’elle n’a pas atteint son but, il
demeure inconsolable ». Son désir est une prière vivante qui, telle une colonne,
se dresse jusqu’aux cieux. Dieu signale la dignité du délaissé par la prise en
compte de sa prière.
Cette idée nous permet d’approcher les prières du pharisien
et du publicain. La prière du pharisien n’est pas adressée à Dieu, mais à
lui-même. Il s’adresse à lui-même, comme nous le faisons parfois, et il se dit
à lui-même : « c’est fou comme je suis beau ! » Ce n’est
pas une Action de grâce, mais un jugement dépréciatif porté sur ceux qu’il juge
moins beaux que lui.
Dans l’Action de grâce, on reconnaît l’action de Dieu ;
on reconnaît que c’est lui qui nous a permis d’accomplir telle ou telle chose,
nous a ouvert telle ou telle porte. La comparaison n’intervient pas dans l’Action
de grâce.
Le publicain n’est pas justifié parce qu’il est publicain,
mais parce que sa prière est adressée à Dieu, parce qu’il est tout simplement
en état de prière. Ben Sirac le Sage nous dit que le Seigneur est un juge
impartial. Il ne favorise pas le pécheur, parce qu’il est pécheur. Le Seigneur
est juste.
Dans certaines cultures ou dans certaines contrées, des
barrières apparemment infranchissables maintiennent l’injustice et la pauvreté,
c.-à-d. quand ces fléaux sont structurellement inscrits dans la société. Alors,
ceux qui sont du bon côté et qui souhaitent le statu quo justifient
théologiquement cet état de fait.
Les pauvres payent un péché ancien ou le sont par leur
faute, à cause de leur paresse, leur manque d’intelligence qui apparemment est
une faute, ou par manque de désir de réussir dans la vie, etc.
Ben Sirac le Sage se croit obliger de dire que « Dieu
ne défavorise pas le pauvre, qu’il ne méprise pas la supplication de
l’orphelin, ni la plainte de la veuve », - par là, il cible les plus
vulnérables dans la société-, s’il se croit obligé de le dire, c’est pour
prendre à contre-pied la conviction de ceux qui sont à l’abri et qui dirigent
la société.
En initiant sa vie apostolique, le Christ s’adresse en
premier lieu à ceux qui étaient depuis trop longtemps des délaissés, et par là,
il initie un nouvel ordre social, une manière de vivre ensemble, de faire
société, basée sur d’autres critères que ceux qui constituent les normes d’une
société implacable et bloquée.
Ainsi, nous pouvons voir l’Esprit du Christ à l’œuvre comme
ferment dans la société par l’émergence des droits des individus, la
reconnaissance de la dignité de chacun et l’exercice de la solidarité qui est
requise pour que cette dignité soit honorée.
Il faut remarquer qu’au cours de l’histoire, dans les
périodes les plus sombres, l’Esprit du Christ s’est souvent manifesté, hors des
tenants de la théocratie qui se sont pratiquement tous dévoyés dans les affres des
pathologies du pouvoir. Il s’est manifesté plutôt chez des croyants, une
croyance se manifestant très concrètement par celle en la dignité de l’être
humain et de la possibilité de la paix entre les nations.
C’est sur cette base de la dignité humaine que, dans un
deuxième temps, on pourra faire société, en échappant cette fois au deuxième
péril qu’est la pathologie de l’individualisme. Ce type de société n’est plus
basée sur les critères de reconnaissance du même, c.-à-d. de l’entre-soi qui
caractérise les clans, les castes et autres ou autres structures fondées sur l’homogénéité.
La nouvelle société est basée sur la reconnaissance de l’humanité de l’autre, de
n’importe quel autre, et par le projet commun que nous avons à réaliser
ensemble.
L’Esprit du Christ est à l’œuvre comme ferment dans la
société, mais on voit que cela prend beaucoup de temps pour que l’individu
acquière ce statut aux yeux des autres.
Les psaumes témoignent de la persistance des cris des
pauvres et de l’ancienneté de ce fléau.
Alors, quand on parle de création, quand l’être humain est
reconnu pour et par sa dignité originelle, reconnaissance qui est concomitante
à celle des autres communautés de vivants et leur droit d’exister, ce n’est une
coïncidence -car la reconnaissance de la seconde ne peut pas avoir lieu sans
celle de la première-, alors la création
commence à ressembler à ce que Dieu a toujours voulu.
Il faut que l’Esprit du Christ soit à l’œuvre pour que ce
processus qui dessine le visage de la création soit durable, et ne soit pas
sous la coupe des flux et reflux des vagues de l’histoire. Ce visage de la création se dessinant nous
rappelle la parole d’Isaïe : « ma parole,
qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce
qui me plaît, sans avoir accompli sa mission ».
Une chose est de se tourner vers
Dieu en accomplissant les rites requis par sa religion, autre chose est de désirer
que se désigne le visage de la création que Dieu veut par la transformation de
la société. Alors, cela vaut la peine, comme le dit l’apôtre Paul, que
« la proclamation de l’évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes
les nations l’entendent ».
Prions le Seigneur pour que la
parole qui sort de sa bouche ne le revienne pas sans résultat, sans avoir fait
ce qui lui plaît, sans avoir accompli sa mission en chacun d’entre nous.
Amen.
Père Roland Cazalis
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