Livre du Deutéronome 30,10-14.
Psaume 69(68),14.17.30-31.33-34.36ab.37.
Lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens 1,15-20.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 10,25-37.
***
Dans le texte de Luc, on
assiste à une sorte de joute qui tourne court très vite entre un docteur de la
Loi et Jésus.
Un docteur de la Loi demande
donc au Christ : « que dois-je faire pour avoir la vie
éternelle ? » autrement dit, que dit la Loi ? Conduire à la vie
éternelle est précisément son objet.
Jésus répond à la question
par la même question : « que dit la Loi ? ». On croirait
entendre Dupond et Dupont dans les Aventure de Tintin.
Dans ce genre de jeu, le
premier qui répond à la question a perdu ! Sinon, il faut répondre par une
question encore plus subtile.
Le docteur de la Loi égraine alors
l’essentiel de la Loi ; il répond donc à sa propre question. C’était bien
la peine de la poser ! Résultat des jeux : Christ : un ! Le
docteur le de la Loi : zéro ! Jésus rajoute : tu le sais,
fais-le donc!
Le docteur de la Loi relance
la balle ou la partie, car il ne veut pas rester sur cet échec. Il pose une
nouvelle question relative à la première : « qui est mon
prochain ? »
Jésus profite de l’occasion pour
universaliser la notion de prochain ; il le fait donc par le récit du
« bon Samaritain ». Après ce préambule, il répond à la question du
docteur de la Loi par la même question : « qui est le
prochain ? »
Le premier qui répond à la
question a perdu ! Résultat des courses : Christ : deux ! Le
docteur de la Loi : zéro !
Le Christ rajoute de
nouveau : puisque tu le sais, fais-le donc ! Ce qui est dit est
encore à faire !
Le score de cette joute est
anecdotique. Ce qui l’est moins c’est que le docteur de la Loi comprend que
devient mon prochain celui dont je me fais proche.
Dès lors, toute la question
est la suivante : pourquoi je me fais proche de celui-ci plutôt que de
celui-là ? Quelle est la règle qui gouverne l’art de se faire proche de
quelqu’un ?
C’est là qu’il nous faut
entendre ce que dit le texte du Deutéronome.
La Loi est dans mon cœur,
elle n’est pas extérieure à moi. La Loi est dans mon cœur, car elle a toujours
été là. C’est une partie de moi-même. Rien d’extérieur ne peut entrer dans ma
nature pour en faire partie.
La Loi qui est révélée vient comme
un miroir pour me découvrir ou pour apprendre à me regarder avec les yeux de la
Loi, ou à voir comment la Loi me révèle, ce que je suis et ce que je dois être,
ma noblesse d’être humain.
Néanmoins, il y a un
risque ; c’est celui d’entrer dans un jeu de miroir, c’est-à-dire de se retrouver
aux prises avec soi-même, entre ce que je suis et ce que je dois être et dans
l’oubli du Dieu et la vraie fonction de la Loi révélée.
Dans ce jeu, la Loi révélée finit
par m’enfermer dans la culpabilité au lieu de m’ouvrir à la vie, c.-à-d., ce
que je dois viser pour parvenir à la plénitude de la vie. La Loi est comme un
symbole dont la fonction première est de donner et non pas d’empêcher.
Alors, Jésus arrive comme
celui qui interrompt ce jeu de moi avec moi-même, qui rompt cet enfermement
dans lequel la mauvaise réception de la Loi m’entraine, ou par sa mauvaise
donation par ceux qui en ont la charge et qui profitent pour en faire un
instrument de leur pouvoir.
Jésus arrive, et en posant son
regard sur moi, il devient « le plus court chemin de moi à moi-même ».
Le regarder à mon tour, c.-à-d.,
me tourner vers lui devient bienfaisant. Le regarder me guérit de mes erreurs
et de mes blessures.
Le regarder me mène au fond
de moi-même et me déprend de moi-même. Le regarder me déprend de la tension de
l’écart entre ce que je suis et ce que je dois être.
Le regarder nous déprend de
cette préoccupation, car en le regardant, nous nous approchons de Dieu sans
nous en rendre compte.
Nous nous approchons de
nous-mêmes, c.-à-d. nous grandissons en humanité sans effort et sans y prendre
garde.
Cette manière de regarder est
l’objet de l’adoration, qui est une ancienne tradition dans l’Église ;
c’est aussi l’objet de la contemplation de la Parole, puisqu’en fin de compte, ces
deux exercices spirituels ont le même but. On choisit celui qui nous est le
plus connaturel.
C’est certainement en
contemplant les paroles du Christ que Paul écrit cet hymne que nous avons lu
lors de la deuxième lecture. On aurait dit du saint Jean ! Non, c’est du Saint
Paul. C’est le regard de Paul qui dit ce qu’il voit, ce qu’il ressent, ce qu’il
perçoit, ce qui le rend heureux.
Oui, on peut percevoir le
bonheur de Paul quand il écrit ces paroles.
Son bonheur, c’est de
connaître le Christ, et surtout que le Christ l’ait regardé le premier alors
qu’il était perdu dans un jeu de miroir aux prises avec lui-même et avec la Loi.
La différence ici, c’est que
la rencontre du Christ engendre un témoignage en forme d’hymne, plutôt que
d’égrainer les articles de la Loi. On voit bien que quelque chose s’est produit
chez Paul. Une transformation de l’intériorité qui donne accès au langage de vérité.
On voit bien dans l’expression
de cet hymne la différence entre le Dieu de la Loi et le Dieu de la
rencontre !
Dans l’exercice de
l’adoration ou de la contemplation, nous apprenons à regarder ! C’est un
exercice qui s’apprend également.
Nous apprenons à regarder les
autres, n’importe quel autre, n’importe quel visage humain.
Nous apprenons à regarder
tout vivant, qu’il soit animal ou plante.
Nous apprenons à regarder les
autres et leur situation pour savoir de qui je dois me rendre proche ici et
maintenant, ou qui le Seigneur m’envoie, c.-à-d. me confie pour que je me fasse
proche de lui.
Le Seigneur m’envoie aussi
ceux et celles qui vont se faire proches de moi, car j’en ai besoin ; leur
présence m’est bienfaisante, constructive. C’est l’une de ses manières de
prendre soin de moi.
Nous apprenons également à
discerner parmi ceux qui crient leur détresse, ceux dont le cri correspond au
visage, ou ceux dont le visage correspond au cri. Voilà donc quelques règles de l’art de se
faire proche.
L’adoration et la
contemplation de la Parole sont des exercices qui sont ordonnés à la rencontre :
la rencontre de Dieu, la rencontre de l’autre.
Prions le Seigneur pour qu’il
nous regarde encore, pour qu’il nous regarde toujours et que notre regard
s’éclaircit et se simplifie en le regardant.
Prions le seigneur pour que
son nom soit connu et reconnu à nouveau dans nos contrées et que cette
génération tourne son regard vers lui.
Amen.
Père Roland Cazalis
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