Premier livre des Rois : 19,16-21
Psaume : 15 (16)
Lettre de saint Paul aux Galates : 5,1.13-18
Evangile selon saint Luc : 9,51-62
***
Dans le récit qui met en scène l’appel d’Élisée, par
le geste du manteau d’Élie, nous assistons là à quelque chose qui s’est répété
des milliers de fois dans l’histoire. En effet, Dieu appelle des personnes à
une mission particulière au service de la communauté.
L’appel, c’est l’empreinte de la manière de procéder
de Dieu. Personne ne se lève de cette manière, au non de lui-même, pour se
mettre au service de la communauté de la sorte sans être appelé à le faire.
C’est ainsi que l’on reconnaît les traces de la main de Dieu dans les contrées
qui ignorent son nom et le visage révélé dans les évangiles.
Le choix d’Élisée n’est pas un hasard. Élisée semble
être arraché à la vie qu’il menait jusqu’alors.
On voit donc qu’il y a quelque chose d’impératif dans
l’appel. Néanmoins, l’appel n’oblige pas. La liberté reste sauve, mais la
liberté comme la conscience doit être éduquée.
Je l’ai déjà dit à maintes reprises. L’appel passe par
le même chemin que celui de notre humanisation, et celui de notre
ultra-humanisation qu’on appelle aussi notre divinisation.
Donc, l’appel passe par le chemin dans lequel nous
réussissons notre vie, dans lequel nous réussissons notre vocation.
Alors parfois, ce que Paul appelle « les
convoitises de la chair » ou
« les tentations de la chair », cette tendance en nous, fait parfois partir
notre vocation en vrille, quand bien même elle aurait bien commencé.
Les « tentations de la chair », c’est ce
qu’il y a d’archaïque en nous, ce qu’il y a de reptilien en nous, ce qui est
tenace et qui fait partie de notre nature.
Cette énergie, est celle qui fait vouloir, celle qui fait
tenir bon, celle qui nous permet de nous dépasser, d’aller au-delà de nos
limites, d’entreprendre, de conquérir. Cette
énergie potentielle, il nous faut la mettre au service de l’Esprit, car c’est
ainsi qu’elle est décuplée, qu’elle reçoit toute sa noblesse et participe à
l’œuvre de Dieu, qu’elle est utilisée dans la recherche du bien commun, dans la
recherche du plus grand bien, comme aime à le dire Ignace de Loyola.
Mais, c’est bien là tout le dilemme humain. Se donner
ou ne pas se donner, telle est la question ! C’est au cœur de ce dilemme
que Dieu peut être vu comme un concurrent ou quelqu’un qui peut faire obstacle
à cette orientation de mon être, à cette force qui va tout droit vers la
réalisation de ce qu’elle pressent.
Quand cette énergie est mise au service de l’Esprit,
alors il est fort probable que le bien commun qui est mis en avant ne soit qu’une
ruse des « convoitises de la chair » pour parvenir à ses fins, avec
les effets collatéraux qui dépassent toujours ce que nous pourrons contrôler.
Ainsi, David Cameron avait promis aux Britanniques
d’organiser un referendum sur le Brexit, par pur calcul politique afin
d’assurer sa réélection. Or, les effets de ce calcul, les effets de ces « tentations
de la chair », ont aujourd’hui des conséquences qui dépassent ce que David
Cameron prévoyait, et en premier lieu, la perte de la place qu’il a pourtant gagnée
par ce calcul machiavélique. L’oiseleur s’est fait piéger dans ses propres
filets.
Plus nous sommes doués, plus nous sommes dotés et plus
nous sommes exposés à ces « tentations de la chair ».
En effet, plus nous sommes dotés, plus nous sommes
amenés sur la ligne de crête avec le risque de partir en vrille.
Les plus sages se rendent compte qu’ils doivent mettre
ce formidable potentiel au service de l’Esprit pour que ce potentiel ne fasse pas
leur malheur, c.-à-d. pour qu’il ne leur mène pas à leur perte.
En somme, plus le sujet est doué, plus il doit se
laisser conduire par l’Esprit, ou plus il doit prier pour que l’Esprit lui soit
donné, en premier lieu, pour son propre bien.
Mais tout le monde ne comprend pas ce langage. Pourtant,
l’appel ou le fait d’être envoyé, c’est la condition qui nous permet de mettre
en œuvre tout notre potentiel, car la mission est un en avant, quelque chose
qui nous tire vers l’avant, et de la sorte, nous ne sommes pas repris par nous
même.
Il y a, en effet, un bien plus grand que celui d’avoir
conquis le pouvoir de manière durable. Ce bien plus grand, c’est celui de
participer à l’œuvre divine, et plus encore, celui de participer à la vie
divine ici et maintenant.
Jésus répétait sans cesse, « je ne suis pas venu
faire ma volonté, mais celle de celui qui m’a envoyé ». C’est cela le plus
grand bien. Jésus connaissait bien l’existence de ces « tentations
archaïques en l’homme », lui qui a pris notre condition humaine.
Nous l’avons pressenti, il y a quelque chose de
radical, quelque chose d’impératif dans l’appel ; une radicalité qui ne
souffre pas de tergiversations, de petits arrangements, de jeux sur les deux
tableaux afin de remporter la mise au passage, sous couvert de service au
prochain.
La réponse radicale que réclame l’appel tient compte
du temps nécessaire à la transformation de nos motivations. Oui, nous avons le
temps de la conversion de nos intentions quand elles ne sont pas encore à la
hauteur de notre vocation.
Dans le temps de notre réponse, nous sommes
accompagnés, comme Élisée l’a été par Élie.
Le seigneur met sur notre chemin ceux et celles, tous
ces anges aux multiples visages qui apparaissent en leur temps afin de nous
guider, afin de nous aiguillonner, afin de nous aider à prendre les virages
délicats, ces tournants qui demandent du doigté pour ne pas faire un tout
droit.
Ce sont toutes ces délicatesses, toutes ces attentions
de Dieu, dont nous prenons conscience lors de la relecture des événements. Oui, ce sont tous ces événements qui nous
permettent de saisir la main de Dieu dans notre vie.
Sans ces pierres blanches qui balisent notre aventure et
confirment notre appel, alors il est à craindre que ne soyons pilotés que par
les « convoitises de la chair ». C’est en général ce que nous
soulignons quand nous disons que les grands hommes ont de grandes faiblesses
qui les font chuter quand ils s’y attendent le moins.
Il y a dans l’appel, un impératif, qui demande un
début de réponse maintenant. Ma réponse compte et fait la différence, le timing
aussi compte.
Sur ce dernier point, c’est une banalité que de dire
que les deux ou trois décisions essentielles que nous prenons dans une vie,
nous avons une fenêtre de tir pour le faire. Si nous tergiversons trop
longtemps, alors la fenêtre passe et la décision, quand bien même nous
finissons par la prendre, elle n’aura plus les mêmes conséquences, car entre-temps,
le monde aura changé. Nous savons tous ces choses de la vie.
Prions le Seigneur, prions les uns les autres, afin
que chacun d’entre nous soit dans son chemin d’humanisation et reçoit la grâce
en son temps pour son ultra-humanisation.
Amen.
Père Roland Cazalis
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